jeudi 16 octobre 2008

Escapade au dessus de la Vallée des Rois

Bon c'est sûr, sur le papier, ça ne le faisait pas trop. Décollage 22h30 pour un retour à 8h40 le lendemain matin, ça promettait un vol piquant. Enfin qui pique, plutôt… Cela dit la perspective d'un vol de nuit vers l'Egypte me semblait alléchante, je gardais un bon souvenir d'un convoyage en Afrique, repartir au sud de la Méditerranée me tentait bien. Certes on ne me demanda pas mon avis, mais l'envie y était…
Samedi dernier donc, j'arrive aux opérations Baboo avec plus de 2 heures d'avance, ce qui change de l'heure règlementaire habituelle. Armé des cartes et de la doc qui vont bien, je m'attaque à énumérer les différents terrains d'appui dont nous pourrions avoir besoin. Le côté nocturne de ce vol charter rend les choses un poil plus compliquées, nombre de terrains n'étant pas ouverts H24.
Le captain arrive, nous faisons un point sur la météo en route, les NOTAM's, et surtout les prévisions pour demain matin à notre retour à Genève. Avec un QNH à 1033, on se dit que ça risque de se corser à l'aube. En effet, les TAF longs prévoient  en TEMPO 500 mètres de visi. Nice est CAVOK, et Lyon prévoit de la brume. On prévient les ops qu'on risque fort de dérouter  sur un des deux terrains, et on file à l'avion. Pour ce vol un peu spécial pour nous, chaque membre de l'équipage a apporté une petite douceur à partager. Giovanni le PNC italien s'est fendu d'un paquet de petits chocolats italiens que je vous dis même pas…  Ca s'annonce bien…
Checks sécurité, catering, bagages, préparation du cockpit, vérification de la doc, programmation du FMS (qui prend plus de temps que d'habitude, vu la longueur de la route), confirmation du pétrole (on prend 12 tonnes, "un tantinet" plus que d'habitude, nous qui dépassons rarement les 2 heures de vol) et du nombre de passagers. "Geneve sol Bonsoir, Baboo 8901 requesting clearance to Sharm el Sheikh". On est partis…  Confirmés en cela par une tape sur l'épaule de Peter, mon captain. Le seul de la compagnie qui dépasse mon 1m93 et qui a donc des paluches en conséquence. Aïeuuuuuu!!!
C'est  sûr qu'à 49 tonnes, juste 1 tonne sous la masse max, on utilise presque toute la puissance de nos deux réacteurs et que la rotation met du temps à arriver. 148 nœuds, mon record. J'arrache l'Embraer 190 de la piste 23, et c'est parti pour une nuit de vol. On note au passage les quelques bancs de brume sur la piste. 22h30, ça promet pour demain…
La nuit est claire et la lune presque pleine. Le Mont Blanc se distingue parfaitement alors que nous montons vers notre premier niveau de croisière. Nous accrochons péniblement le FL340 en route sur TOP (le VOR de Turin), et nous installons confortablement pour admirer le paysage. Peu d'avions au dessus de l'Italie cette nuit. Rien au TCAS, personne à la radio, on en viendrait presque à demander un peu d'animation pour rester éveillés. Heureusement les PNC appliquent à la lettre la consigne qui veut qu'ils doivent nous appeler toutes les vingt minutes. C'est toujours l'occasion de grappiller un chocolat pour mieux profiter du café fumant en regardant se dessiner le talon de la botte italienne. Chose que je n'avais pas sur Embraer 120, là nous volons suffisamment haut pour dessiner sur le pare-brise les cartes que l'on a tant de fois étudiées. Je pense à Jacques et à sa description du papillon guadeloupéen. Et moi aussi je me dis " on a réussi petit".
Ce qui est intéressant sur des vols aussi long, c'est qu'on a le temps de chercher à optimiser au maximum. On affine nos estimées, on anticipe les déroutements éventuels, on prend des météos, on monte dès que l'on peut… Et puis on n'a que ça à faire, puisqu'il fait nuit en dessous et qu'on ne voit rien de la Grèce et de ses îles…
C'est à l'approche des côtes égyptiennes que la nouveauté se dessine. Moi qui pensais arriver sur le désert, je suis sidéré du nombre de villages éclairés qui s'offrent à notre vue. Une gigantesque toile d'araignée est dessinée au sol. A la radio tous les messages sont précédés d'un "Cairo Cairo" destinés à sortir le contrôleur égyptien de sa torpeur. Pourtant d'innombrables charters européens convergent vers les villes qui bordent la Mer Rouge, et déclinent leurs estimées au contrôle qui gère tant bien que mal. On m'avait pourtant dit qu'ils avaient des radars performants en Egypte…
En s'éloignant un peu des côtes, on peut enfin admirer le reflet de la Lune sur le Nil. Magique et empli de symboles… Je suis scotché à ma fenêtre. Encore une fois, n'était-ce pas Jacques qui écrivait que ça faisait partie de notre boulot de regarder par la fenêtre? Dans ce cas j'ai été trrrrès consciencieux dans mon travail cette nuit là…
Plus loin, c'est le noir. Le Sinaï à gauche, la mer en dessous, la montagne devant. Plus que 30 minutes avant l'arrivée, il est temps de se préparer. Pas de problèmes de brouillard ici, il fait CAVOK et 25°c à 3h du matin. On demanderait presque une approche à vue si on n'était pas persuadés d'avoir le cerveau un peu embrumé par les quatre heures de vol qui viennent de s'écouler.
Boudoum boudoum, j'achève de réveiller nos passagers par un "positive touchdown". Le service avant tout…
Débarquement, ménage, embarquement, le Handling à l'égyptienne est étonnement efficace. Avec dix minutes d'avance, on roule vers Genève. On serait bien restés…
La route du retour prend les chemins touristiques. Le Caire, Alexandrie, autant de noms qui ont le son de la cloche de l'école. Nous découvrons la mégalopole suréclairée du Caire, les Pyramides, le Nil, et devinons Alexandrie sous les orages nocturnes. Le côté magique du pilote globe-trotteur commence à se dessiner…D'autant que derrière, dans le winglet droit, le jour commence à poindre doucement. Ce n'est pas encore franc, mais je commence à distinguer un dégradé entre la nuit noire et l'horizon qui commence à se dessiner. Ce lever de soleil durera plus de deux heures, et nous laissera admirer toutes les nuances d'orange et de rouge. Je suis bien content d'être assis à droite, Peter, de sa place gauche, enrage de ne plus être copilote…
Avec l'accord de mon estimé collègue quadrigalloné, je m'autorise une petite sieste de vingt minutes, histoire d'avoir les idées à peu près claires pour notre arrivée. Grand bien m'en a fait…
A l'heure de l'ouverture de Genève, nous commençons à pianoter sur le FMS pour obtenir les dernières météos par ACARS, cet outil fabuleux qui permet de recevoir et d'envoyer des messages textes pratiquement où que l'on se trouve. Un service SMS stratosphérique en quelque sorte.
Enfin l'ACARS a beau être magique, ce qu'il nous dit nous sort définitivement de nos rêveries presque-matinales. Conformément aux prévisions (qui a dit "pour une fois"?), c'est cotonneux à Genève. En revanche Lyon et Nice sont CAVOK, ce qui nous laisse la possibilité de continuer relativement sereinement. A l'approche des Alpes, alors que nous survolons Milan encore endormie, le dernier ATIS passe entre 600 et 800 mètres de RVR. Les manettes devant, on y va avant que ça se bouche.
"Genève contrôle Bonjour, Baboo 8902, descending FL110"
"Bonjour Baboo 8902, proceed direct SPR and descend 7000 Ft. For information, latest RVR 500 meters".
"…."
500 mètres qu'il a dit le monsieur? Damned, nos minimas c'est 550. Bon…
"Baboo 8902, on a besoin de 550 mètres, on entre dans le hold à St Prex, avisez nous en cas d'amélioration".
On réduit à 210 nœuds, on rentre dans l'attente, et on commence à calculer. Il nous reste 3300 kgs dans les réservoirs, on se dit qu'on ne dégage pas à moins de 2600 kgs (alors que le mini est à 2000), ça nous laisse une grosse demie heure pour réfléchir et laisser le temps au brouillard de finir sa nuit.
Mouais… Comme on gêne un peu, SPR étant pile dans la finale 23, on nous envoie nous faire voir dans l'attente de GVA, un peu plus à l'ouest. En attendant, non seulement ça ne s'améliore pas, mais ça se bouche doucement. 450 mètres, puis 375, puis 300, puis 250… On a de plus en plus le sentiment de perdre notre temps et du pétrole dans cet hippodrome. Dernière de Lyon? CAVOK. C'est parti. Peter n'étant pas super fluent en Français, c'est à moi de me fendre de la petite annonce à nos estimés passagers, leur annonçant que le déjeuner chez belle maman va être un peu retardé, puisque là on va à Lyon. Genève ça sera pour plus tard…
Après dix minutes de vol, l'arrivée à Lyon est un non-événement. Il fait beau, on est attendus, les passagers débarquent, on est posés… Enfin. Gentiment, le coordo nous donne la dernière météo de Genève. 175 mètres… Pas de regrets. Ha si, celui de ne pas avoir un appareil photo digne de ce nom… J'aurais eu plein de levers de soleil culculs à vous envoyer…